Lorsque le continent le plus spolié se réveillera, les fondations de l’histoire trembleront. L’Afrique n’est pas pauvre ; elle a été rendue misérable par des siècles d’exploitation. Ses ressources ont été pillées, volées et vendues au nom du progrès européen et du développement occidental. Mais chaque mine de coltan, chaque plantation de cacao, chaque puits de pétrole cache une histoire de dépossession qui persiste. Les reportages parlent de famines, de guerres et d’épidémies, mais ils occultent souvent que ces conflits sont financés, que cette famine a des origines coloniales et que les épidémies naissent dans des territoires ravagés par l’exploitation. L’Afrique ne s’est pas effondrée d’elle-même ; elle a été brisée.
Avant la colonisation, l’Afrique était une mosaïque de civilisations, d’empires et de savoirs. L’Empire du Mali, dont la capitale était Tombouctou, était un centre de science et de commerce. L’Éthiopie résistait à l’invasion. L’Égypte n’a pas commencé avec Cléopâtre. Les Zoulous, les Songhaïs, les Yoroubas, les Ashantis, les Nubiens… Ce n’étaient pas des tribus perdues. C’étaient des nations. Tout cela a été anéanti par la cupidité européenne. À partir du XVe siècle, l’Afrique a été découpée à la règle et au compas. Ses habitants ont été traités comme des marchandises. On y extrayait de l’or, de l’ivoire, des esclaves, du pétrole, du caoutchouc, du cuivre et du coltan. Des frontières artificielles ont été imposées. Langues, cultures et dieux ont été effacés. Des dictateurs ont été installés, des guerres ont éclaté. La colonisation formelle a pris fin, mais pas le pillage.
Aujourd’hui, de nombreux pays restent prisonniers d’un système de dette, d’accords de libre-échange qui les appauvrissent et de sociétés étrangères qui extraient tout sans rien laisser derrière elles. L’Afrique produit ce qu’elle ne consomme pas et consomme ce qu’elle ne produit pas. Elle exporte des matières premières à bas prix, tandis que l’importation de produits raffinés coûte cher. C’est une usine contrainte de vendre ses richesses au plus bas pour acheter du luxe. L’Afrique est le dernier maillon d’une chaîne mondiale injuste.
Mais quelque chose change. L’Afrique ne veut plus se taire. Elle compte 1,4 milliard d’habitants, la population la plus jeune de la planète, des réserves de minéraux stratégiques, de pétrole, de gaz, de soleil et d’eau. Elle possède sa propre technologie, des mouvements sociaux dynamiques, des dirigeants émergents qui refusent de répéter l’histoire. Elle a l’Union africaine, qui commence à prendre des décisions communes. Elle a des ingénieurs à Nairobi, des écrivains à Kinshasa et des programmeurs à Lagos. Elle a de la fierté, de la mémoire, de la colère et un horizon.
La Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil ont compris ce potentiel. L’Occident, quant à lui, persiste dans son arrogance. Il croit pouvoir dicter ses règles, déployer des troupes, conclure des accords avec les oligarchies et appeler cela de la coopération. Mais le monde multipolaire a besoin d’un partenaire, pas d’une victime. L’Afrique doit se rassembler, non en une caricature d’unité, mais en un projet politique et économique durable.
Si l’Afrique crée un bloc régional souverain, contrôlant ses ressources stratégiques, avec une monnaie africaine adossée à ses richesses, des traités entre égaux et non subordonnés, elle ne sera pas seulement le continent du futur. Elle deviendra le centre de gravité d’un monde nouveau.
Car si l’Afrique cesse de vendre son coltan sans contrôle, de céder son pétrole en échange de dettes, d’accueillir des soldats sans souveraineté et d’accepter des discours racistes déguisés en coopération, elle changera non seulement ses frontières. Elle transformera la planète.
Et si l’Afrique s’éveille ? L’Europe ne pourra plus donner des leçons de démocratie tout en expulsant des migrants par bateaux. Les États-Unis ne pourront plus échanger des armes contre des minerais. Le Fonds monétaire international ne pourra plus imposer des plans d’austérité sans réelle justification. Et les multinationales devront payer des impôts, des salaires et des indemnités pour les dommages causés.
Ce sera un continent qui s’exprimera de sa propre voix, signera des traités en bloc, exigera des réparations et construira son modèle de développement sans reproduire celui du colonisateur. Ce sera une puissance culturelle, technologique, alimentaire et énergétique. Elle ne sera copiée par personne. Ce sera l’Afrique.
Aujourd’hui encore, les médias le présentent comme un endroit où tout reste à faire. Mais peut-être faut-il que le monde le voie tel qu’il est déjà. Et que les Africains n’attendent pas qu’on le leur dise.
Car le jour où l’Afrique s’élèvera vraiment, elle cessera de demander la permission. Et alors, les empires de papier trembleront. Non parce qu’elle veut se venger, mais parce qu’elle exige justice. Non pour détruire, mais pour reconstruire ce qui lui a été volé.
Et ce jour-là, le Sud ne sera plus un concept. Il deviendra un acteur. Et le continent qui a souffert le plus offrira les plus grandes leçons. Car lorsque la dignité s’éveille, aucun empire ne pourra la faire retomber dans l’oubli.